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Subventions, loyer dérisoire et entre-soi : les dérives de la Maison de l'Amérique latine à Paris

Subventions, loyer dérisoire et entre-soi : les dérives de la Maison de l'Amérique latine à Paris

Par Charles Jaigu, pour Le Figaro Magazine

ENQUÊTE - On nous parle d'économies. Pourquoi ne pas vendre la Maison de l'Amérique latine ? Retour sur un dossier diplomatiquement incorrect, ouvert par le Fig Mag au mois de mars dernier.

Le législateur devrait s'intéresser à ce dossier diplomatiquement incorrect. La gestion de la Maison de l'Amérique latine est opaque et contestable, comme Le Figaro Magazine l'avait déjà relevé dans son numéro du mois de mars 2025 . S'appuyant sur sa lecture, la sénatrice Sophie Briante Guillemont a demandé au ministère des Affaires étrangères quelques précisions sur la gouvernance et les ambitions de ce magnifique ensemble immobilier du 217-219 boulevard Saint-Germain et 1, rue Saint-Dominique. C'était au mois de mars dernier, et la question portait notamment sur « les modalités de nomination des membres du conseil d'administration, les autres ministères participants à ce conseil, ainsi que la manière dont sont associés les pays latino-américains aux décisions prises ».

Dans sa réponse publiée fin mai, le ministère des Affaires étrangères explique que l'État ne dispose que d'un siège au conseil d'administration de l'Association pour la Fondation France-Amérique latine (Affal), qu'il n'a donc pas voix au chapitre, et il ajoute qu'il s'agit d'une association de droit privé sur laquelle il n'a aucune tutelle. Sans doute le rédacteur du Quai n'a-t-il pas lu l'article 4 des statuts. Il y est dit que l'État dispose de huit sièges de droit au nom de six ministères (Affaires étrangères, Éducation Nationale, Culture, Industrie et Recherche, Commerce Extérieur, Économie et Finances).

Est-ce un mensonge par ignorance ou par omission ? « Ce serait à un juge de déterminer le caractère intentionnel du mensonge, et son impact durable dans la gouvernance de l'association, mais à mon sens cela justifie la qualification du délit de faux et usage de faux en écriture publique », nous explique un avocat. Car cet acte de pudeur ministérielle a quelques effets sur le dysfonctionnement structurel de la gouvernance de cette association. « Cela pourrait justifier sa dissolution par un juge », nous dit encore notre plaideur.

Des «petits arrangements entre amis»

Dans les documents qui ont été portés à notre connaissance, il apparaît que durant les mandats de Guy Georgy en tant que président de la Maison de l'Amérique latine (1984-2003), les ministères étaient convoqués conformément aux statuts. « C'est à la suite de l'arrivée d'Alain Rouquié et de son long règne à la tête de la MAL (2003-2024) que les ministères membres de droit ont progressivement été écartés de la gouvernance de l'Affal. Ils n'ont pas été convoqués aux assemblées générales, à l'exception du Quai d'Orsay, », nous fait valoir un proche de ce dossier. Les membres des ministères réapparaissent néanmoins en une occasion. Lors d'une assemblée générale où Alain Rouquié annonce sa décision unilatérale de désigner à sa succession M. Jean-Marc Laforêt, ancien ambassadeur au Venezuela notamment, et connu pour ses très bonnes relations avec Hugo Chavez. La décision a été prise en dehors de tout ordre du jour. Les représentants des autres ministères ont demandé qu'on indique qu'ils auraient souhaité disposer de plus de temps pour examiner d'autres candidatures. Mais cela s'est arrêté là. Dans les journaux satiriques, on appellerait cela des « petits arrangements entre amis ».

Le Quai affirme également, dans sa réponse, que « L'Affal constitue cependant une entité de droit privé, qui n'est pas et n'a jamais été sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères ». C'est aussi faux qu'absurde. Il faut bien une tutelle à cet établissement public. On nous a d'ailleurs transmis une lettre signée par l'actuel directeur général de l'Affal, François Vitrani. Il y est écrit que « notre président étudie (le sujet, NDLR) avec ses ministres de tutelle ».

Le fameux «entre-soi» prend tout son sens

Le Quai d'Orsay est supposé contrôler cette association qu'il subventionne. S'il s'y était intéressé, il aurait constaté qu'afin de s'acquitter de son loyer qu'elle paye à la Banque de France, propriétaire des murs, l'Affal passe beaucoup moins de temps à organiser des expositions sur les mondes latino-américains qu'à louer des salles pour des mariages ou des colloques, ou des bureaux pour des associations et entreprises diverses, ou encore gérer un restaurant qui sert de deuxième cantine aux parlementaires du Palais Bourbon.

Sans doute au courant de rien, mais sommé par ses services de venir en soutien, le ministre Jean-Noël Barrot a également décidé de se rendre personnellement sur les lieux le 23 mai 2025 pour y prononcer un discours sur les relations France-Amérique latine et sur l'importance de ce site, soit 6 jours avant la publication de la réponse du ministère. « En prenant le risque de transmettre une fausse information à un parlementaire, le MAE engage la responsabilité politique du ministre (principe de responsabilité devant le Parlement). Cela peut aussi ouvrir la voie à un contrôle de l'Inspection générale des affaires étrangères ou à une saisine de la Cour des comptes pour examiner la réalité du lien entre l'État et l'association », nous dit l'avocat. Notons aussi que lors de sa fondation, l'Affal disposait d'un Haut Comité d'Honneur, qui a disparu. Le fameux « entre-soi », parfois abusivement dénoncé, prend ici tout son sens.

Perte de visibilité et de contrôle

Mais on comprend en partie la candeur du ministère des Affaires étrangères, qui est dans le « noir » depuis des années sur les comptes de cette association. Car tout a été organisé à cet effet. En 2003, la subvention annuelle du Quai et de la Rue de Valois était de près de 200.000 euros (deux versements de 149.800 euros pour le MEAE et de 45.735 euros pour le MCC), ce qui plaçait l'Affal au-dessus du seuil des 153.000 euros qui impose la communication publique des données financières d'une association. « Or, à partir de 2004, la subvention accordée annuellement par l'État s'est toujours placée en deçà de ce montant, ce qui permet à cette institution de ne publier aucune donnée d'intérêt public, que ce soit la composition de son conseil d'administration, ses statuts, son budget et son personnel, sans parler des rapports d'activité et projets institutionnels, devenus inexistants depuis lors », observe l'un de nos interlocuteurs. Est-ce par pingrerie que le Quai a diminué sa subvention dès ces années-là ? Peu probable. En 2004, Dominique de Villepin, à l'origine de la nomination d'Alain Rouquié, est au cour du pouvoir chiraquien. L'année précédente, il a réussi à stopper la vente par la Banque de France de cette maison de l'Amérique latine qui lui rapporte moins que rien.

Cette perte de visibilité et de contrôle s'est traduite par la multiplication d'associations et d'entreprises domiciliées au 217, et surtout au 219 boulevard Saint-Germain. On y trouve, pêle-mêle, France Vélo, Studio Régis Dallier, DK Architectes, sans oublier la société de déménagement Premium Relocation, qui arbore fièrement sur son site web sa localisation à la Maison de l'Amérique latine, en affirmant : « On est ici !». Visiblement, il fait bon vivre dans cette Maison si particulière.

Les dirigeants de l'Affal ont tellement apprécié le lieu qu'ils ont décidé, en 1984, de louer un appartement à la Banque de France dans une des ailes de l'hôtel particulier. Le bail de location indique que ce bien de 102 m² doit être utilisé afin d'y loger exclusivement des membres du personnel de l'association.

Or les dirigeants de l'Affal ont toujours été des fonctionnaires. Si ces derniers peuvent bénéficier d'un appartement de fonction, il est nécessaire de justifier d'une « nécessité absolue de service ». On ne voit pas ce qui la justifierait ici. Le directeur général de l'Affal, François Vitrani, y habite aujourd'hui. Contactée à ce sujet, l'Affal nous a assuré que « M. Vitrani, titulaire d'un bail privé, est locataire d'un appartement propriété de la Banque de France, mais qui n'a strictement aucun rapport avec l'Affal, ni avec les fonctions qu'il y exerce. Par conséquent le seul loyer qu'il verse est à son propriétaire, information aisément vérifiable ». Pas si aisément, car l'Affal n'a jamais fait part publiquement de l'existence de cet appartement. En revanche, il est bien attesté qu'en 1990 cet appartement était loué par l'Affal à la Banque de France.

«Qui protège cette institution ?»

« La question qui se pose est de savoir qui protège cette institution », conclut un diplomate latino d'un pays du continent latino-américain. Certains s'étonneront que la presse d'investigation n'en ait pas pipé mot. Rappelons que François Vitrani est cofondateur de Mediapart, et y tient un blog, ce qui garantit une certaine bienveillance de ce côté. Que Le Canard enchaîné y organise régulièrement la fête annuelle du volatile, dont celle de 2025. Et que l'émission « Complément d'enquête » de la très accrocheuse Élise Lucet y loue régulièrement des salons pour y mener ses interviews. Voilà qui est habile de la part du président de ce conseil d'administration dont personne n'a la tutelle.

Mais les temps sont difficiles. En ce mois de novembre, le Parlement a bien du mal à trouver un accord sur le budget. Et bien sûr, il n'est question que d'impôts à augmenter. Car depuis des années, un certain fatalisme prévaut à la Cour des comptes sur l'impuissance de l'État à s'imposer une cure d'amaigrissement. Pourquoi ne pas se tourner vers les solutions audacieuses ? La Banque de France, puisqu'elle est propriétaire, pourrait mettre en vente la Maison de l'Amérique latine, comme elle en avait conçu le projet en 2003 ? Ou bien pourrait-elle lui trouver un locataire dont la mission d'intérêt public serait claire ? On notera pour conclure que Jean Gatty (Revue Commentaire, Hiver 2024-2025) explique avec beaucoup d'impertinence qu'il y a des solutions imaginatives à notre dette publique. Le montant du patrimoine immobilier de l'État est estimé à 2500 milliards. Ne pourraient-ils être en partie vendus dans un horizon d'une dizaine d'années ? Sans aller jusque-là, il serait de salubrité publique, osons les grands mots, d'en finir avec « les mystères » de la maison de l'Amérique latine.

Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/subventions-loyer-derisoire-et-entre-soi-les-derives-de-la-maison-de-l-amerique-latine-a-paris-20251127